Chapitre 3 S'endormir dans ses bras
C'est alors que l'on frappa à la porte. Le majordome, M. Moreau, appela de l'extérieur de la porte :
– Maître.
Alexandre ouvrit la bouche pour parler d'un ton fade.
– Entre.
M. Moreau poussa la porte et entra.
– Maître, comment doit-on s'occuper de la... maîtresse ?
Alexandre resta immobile près du lit pendant un bon moment. Il mesurait 187 cm et était vêtu d'une tenue des plus simples - une chemise blanche et un pantalon noir - mais le tissu coûteux avait été tissé à la main, ce qui mettait en valeur sa minceur et son aura distinguée.
Il baissa le regard. Ses doigts tapotaient l'un des boutons en argent brillant de sa chemise d'un air exercé. Il jeta un coup d'œil indifférent à Annie.
– Je suis sûr que tu ne sais toujours pas qu'il y a deux loups dans l'arrière-cour du Jardin des Orchidées. Pourquoi ne pas... te jeter vers eux ?
Le cœur d’Annie se serra. Ce sont les gens de l'ancienne génération qui avaient arrangé ce mariage. Plus précisément, ceux des quatre familles les plus distinguées de la ville A - les familles Mulon, Durand, Leroy et Breton.
Le maître de la famille Mulon était celui qui détenait le pouvoir absolu sur eux. On disait de lui qu'il était le plus jeune et le plus fringant magnat du monde des affaires. Cependant, personne n'avait jamais vu son visage ; il était tout à fait mystérieux.
Le Jardin des Orchidées était assez isolé. D'un seul coup d'œil, on pouvait deviner qu'il ne s'agissait pas d'une résidence grandiose. Les Dupont avaient envoyé des gens enquêter sur ce lieu, mais tout ce qu'ils avaient pu recueillir, c'était qu'une grand-mère et son petit-fils y vivaient, et que ce petit-fils était aussi le fiancé à moitié mort et en phase terminale dont les gens parlaient.
Le plus grand souhait de Clémentine était de marier ses deux filles aux familles les plus influentes de la ville A. Les résultats de l'enquête du Jardin des Orchidées lui donnaient envie d'arracher les tombes des ancêtres de la famille Dupont afin de pouvoir exiger la raison de ce mariage blanc.
Clémentine ne voulait pas que ses filles épousent cet homme, mais André était un homme conservateur qui accordait de l'importance à la piété filiale. Il était réticent à rompre l'accord de mariage que les générations précédentes avaient conclu.
Ses filles ne pouvaient pas épouser cet homme, mais Clémentine avait alors pensé à Annie. Elle était allée chercher la jeune fille pour qu'elle se marie à la place de ses filles.
Annie savait que l'homme qui se trouvait devant elle n’était pas un noble digne de ce nom. Cependant, elle était troublée.
L'homme qui se tenait devant elle dégageait un air distant et dédaigneux, ne serait-ce que par ses mouvements. Une élégance froide se dégageait de son être, comme s'il était un roi qui commandait à son peuple, le rendant incapable de faire autre chose que de se prosterner à ses pieds.
Il avait même des loups dans son jardin. Élever des loups n'était pas une activité à laquelle les gens ordinaires pouvaient se livrer.
Annie voulait parler, mais l'homme avait soudain posé ses mains sur le bureau. Ses yeux majestueux affichaient une expression douloureuse.
Le majordome changea d'expression. Il s'exclama rapidement :
– Maître, je vais appeler le médecin tout de suite !
Le regard d’Annie s'abaissa. Les veines de ses mains palpitaient déjà follement, comme si elles étaient le signe d'une maladie qui se déclarait.
Il est malade ? Et c'est une maladie terrifiante.
Le regard de la jeune femme rencontra les yeux rouges sang de l'homme ; Alexandre avait tourné la tête pour la regarder, mais celui à qui il s'adressait était plutôt le majordome lorsqu'il aboya :
– Sors-la !
– Maîtresse, tu devrais te dépêcher de partir, dit rapidement le majordome.
Annie savait qu'elle ne pouvait pas partir. Elle était revenue dans la Famille Dupont avec un objectif en tête, mais elle avait besoin de la position de mariée du Jardin des Orchidées.
Elle fixa Alexandre de ses yeux clairs ; elle n'avait pas l'intention d'éviter son regard.
– Tu es malade. De quoi souffre-tu ? J'ai quelques connaissances médicales, et je suis douée en acupuncture. Je peux te soigner.
Alexandre serra les lèvres en une ligne dure.
– Sors ! Ces mots semblèrent sortir de sa gorge.
Cependant, Annie ne partit pas. Elle s'approcha même de lui.
– Je peux sentir sur toi du lys, de la wolfiporia extensa, de la gastrodia elata et d'autres herbes rares. Ce sont des remèdes traditionnels chinois contre... l'insomnie. Si je ne me trompe pas, tu souffres d'un trouble du sommeil. Tu n'arrives pas à dormir la nuit.
Le majordome regarda Annie, stupéfait.
– Maîtresse, tu…
Le regard clair d’Annie se posa sur le beau visage d’Alexandre.
– Quelle est l'étendue de ta somnipathie ? Une fois qu'elle aura atteint un certain niveau, ton état mental sera sévèrement affecté. Lorsque ton corps est épuisé mais incapable de se reposer, un autre moi en toi se manifeste, et cet autre moi est sans joie, irritable et terrifiant. C'est presque une maladie en soi.
Les coins des yeux étroits d’Alexandre devenaient encore plus rouges ; un nuage sombre était déjà accroché à son front. Il tendit la main et saisit le cou d’Annie d'un seul geste.
Le cou de la jeune fille était incroyablement lisse et doux. S'il le pressait ne serait-ce qu'un peu, elle n'aurait plus jamais eu la vie sauve.
– Maîtresse, n'agite plus le maître ! Maître, lâche la jeune maîtresse immédiatement ! Le majordome s'affolait au point d'être sur le point de se précipiter.
L'air qu'elle respirait s'amenuisait, son petit visage commençait à rougir. Pourtant, sa petite main bougea et planta rapidement une aiguille dans un point de pression d’Alexandre.
La prise d’Alexandre se desserra et il s'écroula sur le canapé.
Annie sursauta et haleta lourdement. Elle n'avait pas voulu mourir en revenant ici. Elle avait été terrifiée à ce moment-là.
Cet homme devant elle était trop dangereux. Peu importait le mystère de son identité, un simple trouble du sommeil pouvait le transformer d'un homme élégant et noble en un monstre en un clin d'œil.
Cependant, elle ne pouvait plus reculer. Tout ce qu'elle pouvait faire, c'était tenir bon.
Annie reprit sa respiration et s'approcha de lui par derrière. Elle leva ses doigts fins et les posa sur ses tempes pour le masser.
Alexandre couvrit ses yeux majestueux, masquant leur rougeur.
– Ton idée du traitement est un massage ?
– Tu dois être content. Tu es le premier homme pour qui je fais cela.
– Tu parles comme si tu n'étais pas la première femme à avoir le plaisir de me masser.
– Euh…
Elle était restée sans voix.
On dirait que je ne peux pas discuter avec lui.
– Laisse-moi vivre. Laisse-nous nous entendre. Tant que tu ne me poses pas de questions sur mes affaires privées, je t'aiderai à faire semblant devant ta grand-mère. Je peux même soigner tes insomnies. Qu'en dis-tu ?
Alexandre ne répondit pas.
Lorsqu’Annie enfonça une longue aiguille dans un point d'acupuncture de la tête d’Alexandre, celui-ci ferma les yeux, puis sa tête se renversa sur le canapé.
Elle s'empressa de l'attraper avec douceur et tendresse.
Il s'était endormi.
Le majordome avait déjà des sueurs froides. Personne ne connaissait l'identité de son maître, mais lui la connaissait très bien. Son maître était le jeune maître de la famille Lu, un être exceptionnellement béni. À l'adolescence, il s'était lancé dans le monde des affaires et avait forgé à lui seul la légende de la famille Mulon.
Personne n'avait jamais osé... négocier... avec son maître de cette façon. De plus, c'était une fille qui l'avait fait.
Les filles qui avaient eu la chance de rencontrer son maître étaient tombées amoureuses de lui. Elles l'aimaient, s'en étaient entichées, souhaitant ardemment pouvoir sauter dans ses bras.
La maîtresse qu'il avait sous les yeux était spéciale. Même lorsque l'état de son maître s'aggravait, elle parvenait à garder son sang-froid, sa franchise et son intelligence.
Le plus choquant, c'est que le maître s'était endormi !
Le maître n'avait pas dormi depuis longtemps !
Les médecins qui avaient traité le maître pour son insomnie étaient parmi les meilleurs du monde, mais leurs efforts avaient été vains. Et pourtant, celui-ci s'était endormi entre les mains de la maîtresse !
Le majordome prit la parole.
– Maîtresse…
Annie posa un doigt sur ses lèvres en signe de silence.
– Tu peux partir. Je suis là.
Bien que troublé, le majordome sentait que cette dame avait une aura apaisante. Il recula docilement et quitta la pièce.
...
La pièce était totalement silencieuse.
Annie le laissa se reposer dans ses bras pendant un moment. Elle ne le déplaça complètement sur le canapé et ne le couvrit que lorsqu'il fut plongé dans un profond sommeil.
Une fois cela fait, elle se mit au lit et s'endormit, toujours vêtue de sa robe de mariée.
C'est alors qu’Alexandre ouvrit lentement les yeux. Il s'était réveillé.
Il se leva et se dirigea vers le lit. Ensuite, il tendit ses doigts fins pour ôter le voile du visage d’Annie.